III. Le programme de FTS après résection colorectale :
une approche multimodale


        Il est établi grâce à une meilleure connaissance des facteurs qui influencent ce stress
physiologique   et   donc   les   suites   opératoires.   Il   s’inspire   surtout   des   nouvelles   avancées
scientifiques dans le domaine de l’analgésie et de la chirurgie permettant d’améliorer les soins
périopératoires. Il était donc inéluctable d’évoluer vers une agression minimale, dans l’espoir
d’obtenir une réhabilitation plus rapide, une meilleure qualité de vie et peut être une morbidité
postopératoire moins importante.
Les mesures des programmes de réhabilitation précoce préconisent de:
    •   mettre à contribution le patient lui-­même,
    •   collaborer plus étroitement avec les anesthésistes et le personnel infirmier,
    •   nous débarrasser de certaines habitudes,
    •   remettre en question certains dogmes,
    •   réorganiser les soins,
    •   évaluer l’impact de ces programmes à court et moyen terme.
         
Récemment des chercheurs du nord de l’Europe se sont réunis sous l’égide de la Société
européenne de métabolisme et nutrition clinique (European Society of Clinical Nutrition and
metabolism ESPEN). Ils ont mis au point un protocole (protocole ERAS pour Early Recovery
After Surgery), véritable chemin clinique « clinical pathway » inspiré du concept de Kehlet et
dans lequel  toutes les mesures ont un niveau de preuves fondé sur des  méta­analyses et des
essais randomisés [36]. L’ensemble de ces mesures factuelles est résumé dans la figure 1.
                                                                                                               


       A. L’approche médicale ou « médecine périopératoire »

         Pour   atteindre   ses   objectifs,   le   programme   de   réhabilitation   propose   différentes
solutions ou méthodes qui peuvent se décrire en fonction de la chronologie de la période
opératoire.
 
                             1. Période préopératoire

     •   Sélection  et   information  des  patients :   Elle   est  destinée   à   évaluer   l’autonomie   du patient, à rechercher une dépendance tabagique ou alcoolique. Un arrêt du tabagisme
  six   à   huit   semaines   avant   l’intervention   permet   de   faire   disparaître   le   risque   de
  surmorbidité   coronarienne,   infectieuse   et   chirurgicale   (désunion   de   cicatrice,
  éventration, lâchage de suture digestive...) [37].
  Le consentement éclairé et l’adhésion du patient, en tant qu’acteur à part entière, sont
  fondamentaux   pour   envisager   la   réussite   du   programme   (notamment   en   ce   qui
  concerne   l’alimentation   orale   et   la   mobilisation   précoces   immédiatement   après   la
  chirurgie).
  L’information   concerne   aussi   l’acte   opératoire   en   lui­même   mais   également
  l’analgésie par péridurale et ses complications propres.
  Il est bien établi qu’une information détaillée avant l’intervention contribue à diminuer
  la consommation analgésique et à réduire la durée d’hospitalisation surtout chez les
  patients anxieux [38].   

Supplémentation nutritionnelle: Chez les patients sévèrement dénutris (perte de poids
  ≥ 20%   en   6   mois),   une   nutrition   artificielle   orale   ou   entérale   (si   nécessaire)   est
  recommandée pendant 7 à 10 jours avant l’intervention. Elle est à poursuivre de façon
  précoce en postopératoire. Ce schéma périopératoire réduit le taux de complications
  infectieuses et la durée de séjour [39].
  Une   immunonutrition,   correspondant   à   un   complément   nutritionnel   enrichi   en
  arginine, en glutamine, en acides gras omega­3, en anti­oxydants et en ARN, favorise
  la cicatrisation, stimule le système immunitaire et module l’inflammation. Une méta­
  analyse portant sur 12 études soit 1482 patients démontre que si l’immunonutrition est
  administrée   7   jours   avant   l’intervention   (voire   14   jours   périopératoires   en   cas   de
  dénutrition)   et   en   cas   de   chirurgie   digestive   carcinologique,   elle   diminue   le   taux
  d’infections postopératoires de moitié (RR = 0.48, CI = 0.28, 0.83 ;  p  = 0.01) et la
  durée d’hospitalisation de 2,3 jours (CI = 0.6, 4.0 ; p = 0.007) par rapport à une diète
  standard [26].

Absence de préparation colique : cette préparation mécanique est source de stress et
  de   déshydratation  avec  des  troubles   ioniques  associés  [40].  Une  méta­analyse  très
  récente, incluant quatorze essais randomisés soit 4859 patients, montre l’absence de
  différence statistiquement significative pour une chirurgie colique entre les groupes
  avec et sans préparation   en ce qui concerne la survenue de fistules anastomotiques
  (OR   1.12   [0.82­1.53]   p=0.46),   d’abcès   pelviens   ou   abdominaux   (p=0.75)   et
  d’infections de paroi (p=0.11). La préparation mécanique colique augmente le taux
  d’infection quelque soit sa localisation (OR 1.40 [1.05­1.87], p=0.02). L’analyse de
  sous­groupe montre une légère augmentation du risque d’abcès pelvien en l’absence
  de préparation, sans pertinence clinique. Concernant la chirurgie rectale, les données
  actuelles sont insuffisantes pour conclure [41].

Absence de jeûne préopératoire : pour éviter  toute  inhalation  pulmonaire,  la règle
  voulait que le patient soit à jeun à partir de minuit la veille de l’intervention. Or, une
  méta­analyse récente analysant 38 essais (dont 22 randomisés) a montré que la prise
  d’une quantité de fluide réduite jusqu’à deux heures avant l’intervention n’augmentait
  pas le risque de régurgitation ou la morbidité, elle diminue même le volume gastrique
  avant l’induction anesthésique [42].
  Le jeûne est source de stress et de résistance à l’insuline [18 , 20 , 43 , 44]. Un essai
  randomisé de 252 patients a montré que l’ingestion de 800 ml de liquide clair enrichi
  en hydrate de carbone (12,5% avant minuit, suivi de 400 ml deux à trois heures avant
  la chirurgie n’augmentait pas le volume ou l’acidité gastrique. Mais elle calmait la
  satiété,   l’angoisse,   la   sensation   de   soif   [43].   Elle   diminue   également   de   façon
  significative la résistance à l’insuline [20 , 43].
  Les   recommandations   anesthésiques   proposent   la   prise   de   boissons   claires   sucrées
  jusqu’à deux heures avant la chirurgie (six heures pour les solides) en l’absence de
  contre­indications (patients diabétiques, à risque de gastroparésie) [18].
 
Absence   de   préparation   sédative avant   l’anesthésie  :   les   prémédications
  anxiolytiques augmentent la sédation postopératoire [45]. Des anxiolytiques de courte
  durée   d’action   sont   parfois   nécessaires   chez   le   patient   anxieux   avant   la   pose   du
  cathéter péridural.

Prophylaxie anti­thrombotique : une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) doit
  être administrée jusqu’à mobilisation complète du patient (et non pas un mois comme
  en orthopédie lourde) [46 , 47].

Antibioprophylaxie : elle réduit les complications infectieuses en chirurgie colorectale
  [48]. D’après la classification d’Altemeier (Annexe 1) qui répartie les interventions
  chirurgicales   selon   le   risque   de   contamination   et   d’infection   postopératoire,   la
  chirurgie avec résection colique ou rectale est une chirurgie contaminée car il existe
  une   contamination   du   champ   opératoire   par   le   contenu   intestinal   quelque   soit   la
  technique   utilisée.   L’antibioprophylaxie   doit   donc   être   efficace   contre   les   germes
  aérobies   et   anaérobies.   Elle   doit   être   administrée   avant   l’incision   pour   avoir   une
  concentration   suffisante   au   moment   de   la   contamination.   L’efficacité   d’une   dose
  unique équivaut à celle de doses multiples [48].


                   2. Période peropératoire

Protocole   anesthésique :  L’utilisation   d’agents   anesthésiques   inhalés   (Desflurane,
  Sevoflurane)   ou   intraveineux   (Propofol,   Remifentanil)   de   courte   durée   d’action
  autorise une récupération  rapide après  chirurgie [1 , 49]. Par contre l’utilisation  du
  protoxyde d’azote est à éviter car il augmente le risque de  NVPO [50].

Analgésie  péridurale (APD) : la qualité de l’analgésie postopératoire au repos et à la
  mobilisation est une des pierres angulaires conditionnant la réussite du programme de
  réhabilitation.   C’est   elle   qui   améliore   le   confort   et   augmente   les   capacités   de
  déambulation.
  L’analgésie   par   péridurale   est   plus   efficace   que   par   voie   générale   après   chirurgie
  abdominale  aussi bien  au repos  qu’à l’effort,  surtout en couplant  l’utilisation  d’un
  anesthésique local avec un morphinique [51 , ­60]. Elle réduit ainsi la douleur ressentie
  pendant la convalescence et le risque de douleurs chroniques [6 , 22].
  Le   cathéter   péridural   à   l’étage   thoracique   moyen   (T7­T8)   bloque   les   afférences
  nociceptives et ainsi la libération d’hormones du stress [52]. L’analgésie péridurale
  diminue   la   résistance   à   l’insuline   [61]   et   le   catabolisme   protidique   [62 ,   63].   La
  diminution de secrétions de catécholamines et donc de la vasoconstriction permet une
  meilleur   oxygénation   des   tissus.   Les   anesthésiques   locaux   ont   une   action
  vasodilatatrice mais minime [64].
  Ballantyne   et   coll.,   dans   une   méta­analyse   comparant   sept   types   d’analgésies
  différentes,  ont démontré que l’APD diminue la morbidité pulmonaire postopératoire
  (atélectasies,   infections   pulmonaires)   de   par   son   action   antalgique   efficace   mais
  également en bloquant les réflexes inhibant le diaphragme [65]. Cette réduction des
  complications   pulmonaires   est   surtout   significative   chez   les   patients   à   haut   risque
  respiratoire   [52 ,   66,   67].   En   chirurgie   abdominale,   en   comparant   l’APD   avec   une
  administration intraveineuse de morphine, il n’a pas été mis en évidence de différence
  significative   concernant   les   complications   cardiovasculaires   [52 , 66, ­68],   le   risque
  thromboembolique, les pertes sanguines, la nécessité de transfuser [52] et le taux de
  fistules anastomotiques [52 , 69].
  L’APD   réduit   la   durée   de   l’iléus   en   chirurgie   digestive   par   arrêt   du   message
  douloureux, par effet sympatholytique,  par abstention  de prise de morphinique  par
  voie générale et par diminution des résistances vasculaires dans l’artère mésentérique
  inférieure (favorisant la motricité colique) [54, 70]. Une revue systématique rapporte
  une gastroparésie plus courte si l’APD utilise des anesthésiques locaux seuls plutôt
  que des morphiniques seuls [71].
  L’APD   améliore   la   qualité   de   vie,   la   satisfaction   et   la   capacité   à   l’exercice   en
  convalescence du patient [57].

Administration   périopératoire   des   fluides :   l’administration   excessive   de   fluides
  durant la période périopératoire expose au risque d’œdème muqueux, à l’origine de
  trouble de la cicatrisation et d’un retard à la normalisation de la fonction digestive
  [72].   Dans   un   travail   récent,   Nisanevich   et   coll.   ont   démontré   qu’une   diminution
  drastique des apports hydroélectrolytiques (4 ml/kg/h en peropératoire), par rapport à
  une   stratégie   plus   libérale   (12   ml/kg/h)   était   associée   à   une   moindre   morbidité
  postopératoire  et  à une réduction  de  la durée  de séjour [73]. Toutefois,  un apport
  insuffisant   de   fluides   expose   au   risque   d’hypovolémies,   fréquentes   et   insidieuses
  durant la période opératoire, à une sécrétion exagérée d’hormones vasoactives et à une
  réhabilitation retardée [74 , ­76].

Lutte contre l’hypothermie : le réchauffement peropératoire actif est maintenu grâce à
  une  couverture  chauffante   à   air  pulsé.   Le  maintien   d’une  normothermie  réduit   les
  complications   cardiaques   [77],   le   taux   d’abcès   de   paroi,   la   durée   moyenne
  d’hospitalisation [78]. Un essai randomisé concernant 103 patients a montré que les
  opérés réchauffés activement avaient des pertes sanguines peropératoires plus faibles
  et moins de complications postopératoires [79].


                     3.  Période postopératoire

Mobilisation précoce : avec l’APD, elle est possible chez un malade peu algique et en
  situation d’éveil normal (le risque de somnolence par les opiacés est évité) [57]. Elle
  réduit les complications thrombœmboliques [55], améliore la fonction respiratoire et
  l’oxygénation  tissulaire  [35]. Elle  limite  la fonte musculaire  et la fatigue  ressentie
  pendant la convalescence.

Alimentation  orale précoce : il n’y a aucun avantage à laisser les patients  à jeun.
  L’alimentation précoce réduit le risque infectieux et la durée d’hospitalisation de façon
  significative, par contre elle augmente le risque de vomissement [80 , 81]. Elle réduit la
  résistance   à   l’insuline   sans   créer   d’hyperglycémie   [19].   En   combinaison   avec   une
  charge   orale   préopératoire   en   hydrates   de   carbone   et   une   APD,   la   nutrition   orale
  précoce permet une réduction du catabolisme et donc une balance azotée en équilibre
  [12 , 82]. La majorité des patients tolèrent la reprise d’un repas normal avant d’avoir
  repris leur transit sans augmenter le taux de complications [83].   

Analgésie multimodale : l’épargne morphinique est primordiale afin d’éviter ses effets
  secondaires   (somnolence   ­   sédation,   nausées,   vomissements,   iléus,   détresse
  respiratoire...)   et   d’améliorer   la   récupération   du   patient   [84].  En   relais   de   l’APD,
  plusieurs molécules ont été évaluées avec efficacité [85]:
       o les anti­inflammatoires non stéroïdiens (AINS) : ils permettent un réduction de
           la consommation de morphinique de 30 % [86],
       o les   anesthésiques   locaux   par   voie   systémique   (Lidocaïne) :   ils   diminuent
           l’inflammation, accélèrent la reprise de transit et permettent une sortie précoce
           [87],
       o le Paracétamol : son association avec les AINS n’est pas synergique mais elle
           est préférable à la prise unique de Paracétamol ou d’AINS [88].
  L’approche   antalgique   multimodale   diminue   la   durée   de   séjour   et   facilite   la
  réhabilitation et une convalescence précoce [89].

Prévention des nausées et vomissements postopératoires (NVPO) : elle est essentielle
  pour permettre une alimentation complète et précoce qui est pourvoyeuse de NVPO
  [80 , 83]. Les facteurs de risques de NVPO sont définis par le score d’Apfel (annexe
  3),   l’utilisation   de   certains   anesthésiques   volatiles,   du   monoxyde   d’azote,   la
  néostigmine, les opiacés, ainsi que la durée et le type d’intervention.
  Une prophylaxie s’impose en monothérapie si le risque est faible, ou multimodale si le
  risque est élevé (Ondansétron, Dexaméthasone ou Dropéridol) [27].

Prévention de l’iléus postopératoire : le programme supprime les éléments favorisant
  l’iléus.   On   évite   l’hyperhydratation   intraveineuse   (traditionnelle   en   chirurgie
  digestive), le jeûne postopératoire, l’aspiration gastrique et l’administration d’opiacés
  systémiques. Grâce à l’APD, on en diminue l’impact en bloquant les stimuli nerveux
  d’origine péritonéale [71]. Certains programmes prévoient l’administration de laxatifs
  dès le soir même de l’intervention (oxyde de magnésium) [90]. D’autres préconisent
  l’utilisation de chewing­gum qui stimule la sécrétion de salive, de sucs pancréatiques
  et des hormones intestinales [91]. Une méta­analyse regroupant cinq essais randomisés
  de faibles effectifs montre que le chewing­gum est un moyen sûr pour stimuler la
  motricité   digestive   et   réduire   la   durée   de   l’iléus   sans   exposer   au   risque   de
  vomissements [92].

Suivi du patient : les patients participant à ce genre de programme ont un suivi plus
  actif. La durée d’hospitalisation est plus courte mais une structure d’accueil doit être
  organisée pour qu’en cas de réhospitalisation, le patient puisse bénéficier d’une prise
  en charge rapide. Le médecin généraliste doit être prévenu de la participation de son
  patient au programme de réhabilitation accélérée. Un contact téléphonique s’impose
  dans les 48 heures après le retour à domicile.
                                                                                              
  • Evaluation du processus : pour une amélioration continue de ce type de programme,
    un audit étudiant la morbidité, la mortalité, l’observance et la qualité de vie du patient
    est un composant essentiel surtout en début d’expérience.


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