DISCUSSION
La réhabilitation accélérée en chirurgie colorectale élective associe successivement :
l’information, l’adhésion et « l’optimisation » du patient avant l’intervention
l’atténuation du stress chirurgical
le soulagement de la douleur
la mobilisation précoce
la nutrition orale précoce
Cette prise en charge périopératoire permet d’obtenir de manière significative une récupération postopératoire plus rapide, une réduction de la morbidité et une réduction de la durée d’hospitalisation par rapport à une prise en charge conventionnelle.
En confrontant nos résultats à ceux de la littérature, nous discuterons successivement les points suivants :
Obtient-on des résultats similaires dans un service hospitalo-universitaire ?
Cette prise en charge est-elle faisable et sûre ?
Quelles sont les répercussions sur le personnel soignant ?
Quelles sont les évolutions futures de la FTS dans notre service ?
Confirmation de la similitude des résultats de notre série avec ceux de la littérature.
Nos résultats ont été obtenus à partir d’une étude de faisabilité auprès d’une population sélectionnée. Nous n’avons pas réalisé d’essai comparatif avec un groupe « prise en charge conventionnelle ». Néanmoins, plusieurs de nos résultats sont comparables aux résultats d’essais sur la FTS déjà publiés.
Bien que la réduction de la durée d’hospitalisation ne soit pas le but principal dans le concept de réhabilitation rapide, elle est la conséquence la plus visible de son efficacité. C’est pourquoi nous l’avons choisie comme critère de jugement principal. Kehlet et son équipe ont réduit à 2 jours la durée d’hospitalisation après colectomie. En France et dans notre service, la durée d’hospitalisation pour des résections colorectales était habituellement de 16 jours [2]. Elle a pu être abaissée à une médiane de 5 jours grâce à ce programme, ce qui est identique aux chiffres rapportés par d’autres équipes pratiquant la FTS (Tableau 1). Vingt-huit patients (70%) des patients ont pu quitter notre service entre le 3ème et le 6ème jour postopératoire avec des suites simples. Les départs après J6 étaient essentiellement dus aux complications chirurgicales. Avant l’application du protocole FTS, nous ne connaissions pas le taux de patients sortant précocement de notre service sans complication. Hammer et coll. ont appliqué le concept de FTS pour la première fois dans leur service sur 131 patients consécutifs non sélectionnés. En comparant avec leurs bases de données du service, ils ont constaté que la durée médiane de séjour était passée de 7 à 4 jours mais surtout, que le taux de patients avec des suites simples était passé de 64 à 89 % (essentiellement par réduction du nombre de complications médicales) [176].
Notre équipe médicale avait déclaré 21 patients « sortants » car ils remplissaient les critères de sortie mais ils ont souhaité différer leur départ d’au moins 24 heures :
55 % des patients manifestaient une appréhension et ne se sentaient pas encore tout à fait « prêts » à retourner à leur domicile. Il ne s’agissait pas d’un refus catégorique.
35 % des patients ont retardé leur sortie pour des raisons d’organisation : disponibilité d’un membre de la famille pour le transfert entre l’hôpital et leur domicile, présence au domicile du conjoint libéré de ses obligations professionnelles.
Dans 10 % des cas, les patients étaient dans l’attente d’une place en centre de convalescence.
Au cours de l’étude, nous avons donc remarqué que le manque d’anticipation de la sortie pouvait allonger la durée d’hospitalisation. La réservation d’un établissement de convalescence, l’organisation du retour et la surveillance à domicile sont des éléments qui doivent être pris en compte et planifiés avant même de fixer la date opératoire surtout pour les patients qui ont des difficultés pour se loger ou qui vivent isolés.
Dans notre série, cette différence entre patient sortant et sortie effective n’a pas influencé la durée totale de séjour réelle, contrairement aux travaux de Liu [177] et Carli [57] où ce différentiel était respectivement de 5 et 3 jours après utilisation de l’APD seule après chirurgie colique. Mais cette absence de différence pourrait être due à un effectif relativement faible.
La totalité des 40 patients a pu tolérer l’alimentation précoce dès le lendemain de l’intervention. Quatre patients ont mangé normalement avant même de reprendre leur transit. La prévention et le traitement des NVPO nécessitent une surveillance soutenue (tout comme l’analgésie) pendant toute la durée du séjour postopératoire. Malgré des mesures spécifiques, un quart des patients a présenté au moins un épisode de NVPO pendant son séjour. Le traitement médical par Dropéridol et Ondansétron est efficace et suffisant dans la majorité des cas. Seuls deux malades (5%) ont nécessité la pose d’une SNG :
un patient vomissait en raison d’une occlusion mécanique par éviscération du grêle dans un orifice de trocart,
un seul patient a présenté un iléus paralytique.
Dans certains essais comparatifs [121, 125], 15 à 20 % des patients du groupe « traitement conventionnel » nécessitaient la pose itérative de SNG en période postopératoire pour NVPO.
Nos résultats confirment l’intérêt de la FTS pour le délai de reprise de transit : le temps médian de reprise des gaz est de un jour dans notre série alors que dans une prise en charge standard la paralysie de la motilité intestinale constatée est habituellement de 2 à 5 jours [28].
Contrairement au protocole de Kelhet, nous avons fait le choix, comme d’autres équipes [7, 133], de ne pas utiliser le Cisapride comme stimulant de la motricité intestinale en raison d’effets indésirables cardiaques rapportés [178]. La prise de chewing-gum de par son innocuité et sa très bonne observance a sa place dans un protocole de réhabilitation rapide.
Le but du traitement antalgique élaboré lors de la rédaction du protocole était de maintenir un score d’EVA inférieur ou égal à 3 sur 10 tout au long du séjour postopératoire. Cet objectif a été atteint grâce à deux éléments spécifiques de la FTS :
L’analgésie péridurale, associant un anesthésique local et un morphinique d’action rapide, s’est révélée très efficace dans notre protocole avec des moyennes de scores d’EVA ne dépassant pas 2 sur 10, même à la mobilisation pendant les 48 premières heures. Les objectifs de durée d’utilisation de l’analgésie péridurale fixés à 72 heures ont été respectés. Sa morbidité propre est restée nulle. Il n’y a pas eu d’échec de pose de cathéter en dehors d’un cas où le patient a été exclu pour un IMC ≥35 kg/m2. L’analgésie péridurale est donc un moyen analgésique faisable, sûr et efficace. Elle a permis de réaliser la mobilisation précoce (fauteuil et déambulation) sans contrainte physique ou matérielle (pompe de PCEA fixée sur un pied à perfusion mobile) pour le patient.
L’analgésie multimodale associant le paracétamol, un AINS ± du sulfate de morphine (en cas de nécessité) a également été efficace, très bien tolérée et simple à administrer par voie orale.
Une augmentation transitoire du score d’EVA moyen (représenté par un pic sur la courbe des scores d’EVA (Figure 5)) provient d’un rebond douloureux à l’arrêt de l’analgésie péridurale chez 14 patients (35%) malgré le relais par voie orale anticipé. Ce phénomène correspond à un véritable creux analgésique ("Analgesic gap"). Un tableau clinique particulier était habituellement associé à ce pic douloureux : la douleur était rapidement progressive, en barre, centrée sur l’épigastre, à type de crampe avec irradiations dans le dos, peu calmée par le sulfate de morphine ; on constatait également un état nauséeux, un ballonnement et un arrêt du transit bref. La durée de ce creux analgésique était en moyenne de 4 heures et n’a jamais excédé 24 heures.
Notre évaluation de la condition physique pré et postopératoire par l’intermédiaire d’un questionnaire de qualité de vie GIQLI (remplis à J-1, J7 et J30) montre que la fatigue ressentie 30 jours après l’intervention est significativement plus faible qu’à une semaine de l’intervention, sans toutefois égaler l’état préopératoire. L’essai randomisé d’Anderson et coll. mettait en évidence la même évolution dans un groupe avec réhabilitation accélérée en soulignant que cette fatigue ressentie (mesurée par une échelle visuelle analogique) était plus faible que dans le groupe avec prise en charge standard [4]. Jakobsen et coll. ont montré que ce niveau de fatigue à J14 pouvait rejoindre le niveau préopératoire grâce à une prise en charge de type FTS et un soutien familial important à domicile [5]. Des essais randomisés avec des groupes homogènes de malades sont nécessaires pour démontrer que la FTS, en améliorant la qualité de la convalescence, pourrait accélérer la reprise de l’activité professionnelle ou l’administration d’un traitement adjuvant en cas de cancer (chimiothérapie, radiothérapie…).
L’étude comparative des questionnaires de qualité de vie GIQLI a également permis de distinguer une évolution du vécu émotionnel. La chirurgie avec sa prise en charge périopératoire spécifique n’a pas entraîné de détérioration de cette dimension. A J30 de l’intervention, le programme de réhabilitation accélérée et la sortie précoce de l’hôpital n’ont pas généré d’inquiétude ou d’angoisse chez les patients.
De même, les symptômes digestifs ressentis en préopératoire n’étaient pas majorés.
Par ailleurs, à un mois de l’intervention, le score global de qualité de vie et le score concernant l’intégration sociale sont inférieurs aux scores préopératoires. Les patients doivent donc être sensibilisés aux conséquences postopératoires de la chirurgie avant la programmation du geste. Ceci souligne également l’importance pour le patient d’avoir une aide familiale ou sociale à domicile. La FTS s’applique à un cadre nosologique précis : le patient doit comprendre l’intérêt du programme de FTS, être d’un niveau socio-économique suffisant et bénéficier d’un soutien familial favorable.
Faisabilité et innocuité de la chirurgie colorectale avec réhabilitation accélérée.
Différents indicateurs nous ont prouvé que la FTS était réalisable dans un service hospitalo-universitaire :
Le taux d’arrêt prématuré du protocole avant la sortie du patient a été de 15 %. Ces interruptions ont été décidées exclusivement pour des raisons de prise en charge de complications chirurgicales. Il n’y a eu aucune mauvaise tolérance des mesures de réhabilitation accélérée justifiant son arrêt.
L’application stricte de la totalité des mesures conformément au protocole a pu se faire chez 17,5 % patients avec un lever à J0. Les autres patients ont eu :
Un drainage abdominal peropératoire (5%).
Une incision médiane (17,5%).
Un lever retardé à J1 (55%) en raison de problèmes d’organisation (sortie tardive du patient de la salle de réveil à J0), de charge de travail ou de crainte du personnel, d’hypotensions orthostatiques ou de l’état de sédation du patient. Les proportions de ces explications n’ont pas été relevées avec précision.
Un lever tardif à J2 (5%).
Une équipe française a évalué l’efficacité de sa démarche de soins par le pourcentage de patients levés à J0. Il reflète la mise en scène de tous les acteurs du programme (patient, anesthésiste, chirurgien, personnel non médical). Il confirme la qualité de l’analgésie lors de la mobilisation et l’absence d’effets secondaires (bloc moteur, sédation trop importante et hypotension orthostatique) [179].
Dans notre étude, ce pourcentage était de 17,5 %. Un effort d’organisation supplémentaire est donc nécessaire pour améliorer ce résultat dans l’avenir :
Programmation du planning opératoire : au même titre que les patients avec prise en charge ambulatoire, les patients en réhabilitation accélérée doivent être opérés dès le début de la journée opératoire.
Programmation du planning du personnel soignant : le nombre d’aides-soignants, en deuxième partie de journée doit être suffisant pour pouvoir assurer les levers précoces.
Nous avons obtenu un taux de réadmission de 10 % qui est comparable aux taux obtenus par les autres équipes utilisant la FTS (Tableau 1). Toutes nos réhospitalisations ont concerné des patients présentant des complications chirurgicales. Aucun patient n’a été réhospitalisé pour analgésie insuffisante, ballonnement abdominal, iléus ou problème social contrairement à ce que d’autres équipes ont constaté [109, 122, 180]. Néanmoins, le taux de réhospitalisation après prise en charge conventionnelle est de 7,5 % [181]. Le patient doit être prévenu du risque plus élevé de réadmission après une prise en charge de type FTS.
L’application du protocole de FTS et la réduction de la durée d’hospitalisation n’ont pas été obtenues au détriment de la sécurité :
Dans notre série, le taux de mortalité était nul comme dans la plupart des essais publiés [4, 123]. Le taux de mortalité des résections colorectales en France est de 3,5 % quelque soit le type de prise en charge [2].
Notre taux de complications médicales de 7,5 % est comparable aux taux observés dans la littérature [121]. Et parmi les trois patients concernés, une patiente a présenté un étirement du plexus brachial pendant une colectomie par laparoscopie. Une conversion avait été nécessaire en raison de la présence d’adhérences et la durée opératoire avait été de 310 minutes.
Il n’a y eu aucune complication pulmonaire ou thromboembolique. Le taux de morbidité médicale après prise en charge conventionnelle peut atteindre 25 à 30 %, que ce soit avec une approche par laparoscopie ou par laparotomie [182, 183].
Le taux de morbidité global de notre série est de 42,5 %. Ceci correspond à la limite supérieure des résultats rapportés dans la revue systématique de Wind et coll. [184]. Dans celle-ci, le taux de morbidité des essais comparatifs variait entre 8,3 et 47,9 % [108] dans les groupes « FTS » et entre 11,4 à 75,15 % dans les groupes « standards ».
Le taux de morbidité chirurgicale après résection colorectale est de 35 % dans notre série alors que le taux de complications chirurgicales des résections colorectales en France est de 18,2 % [2]. Les 14 complications chirurgicales concernent 10 patients (25%), 4 d’entre eux ont présenté plusieurs complications successives. Ce taux élevé est imputable à la chirurgie réalisée et non pas au protocole utilisé :
47,5 % de la population sélectionnée que nous avons étudiée avaient des antécédents de laparotomie. Presque un abord cœlioscopique sur deux (43,8%) a du être converti (en raison d’adhérences postopératoires dans 28,6 % des cas). Dans la littérature, le taux de conversion est habituellement de 20 % [100]. Or la conversion expose au risque plus élevé d’abcès de paroi [185], 3 patients de notre série ont eu des abcès de paroi et une fasciite nécrosante de la paroi abdominale après conversion.
Le temps opératoire témoigne également de difficultés opératoires puisque le temps opératoire médian est de presque 3 heures (197,5 minutes). En chirurgie colorectale réglée, cette durée est de l’ordre de 150 minutes en laparoscopie et de 95 minutes par voie ouverte [100]. Les durées opératoires de 7 patients ayant eu des complications chirurgicales étaient supérieures à 200 minutes. Or la durée opératoire est considérée comme étant un facteur de risque indépendant de morbidité postopératoire [2] au même titre que la contamination fécale peropératoire.
Des incidents peropératoires sont survenus chez 3 patients sur 10 et sont à l’origine de complications :
Une patiente a présenté une diffusion du pneumopéritoine dans l’espace prépéritonéal et sous-cutané empêchant la fermeture correcte des orifices aponévrotiques. Elle a présenté une éviscération couverte par l’un de ces orifices de trocart à J5.
Un patient a eu une plaie par thermocoagulation du caecum qui a été suturée immédiatement. Une conversion avec une incision iliaque gauche a été réalisée. Le patient a présenté une péritonite stercorale à partir de cette plaie caecale. Un syndrome du compartiment abdominal puis une fasciite nécrosante (dont l’origine se situait au niveau de l’incision de laparotomie) sont apparus secondairement.
Une patiente a eu une plaie minime de la rate peropératoire qui a provoqué un hémopéritoine insidieux et majeur. Une splénectomie d’hémostase a été réalisée en urgence. Un abcès intra-abdominal s’est constitué ensuite imposant un drainage.
Le taux de fistule anastomotique était de 7,5 % (soit 3 patients) dans notre série alors que le taux de fistule anastomotique en chirurgie colorectale est de 2,5 à 4,5 % dans la littérature[2, 181, 183]. Deux patients ont présenté une fistule de l’anastomose colorectale après sigmoïdectomie. Ils avaient tous les 2 des antécédents de maladie cardiovasculaire. Cette comorbidité est un facteur de risque indépendant de morbidité postopératoire [2]. Ils étaient classés tous les deux ASA 3 et l’un deux était obèse avec un IMC égal à 33,1 kg/m².
La troisième patiente a eu une résection du rectum par cœlioscopie pour un nodule d’endométriose sans stomie de protection. Elle a présenté une désunion centimétrique du plan postérieure de son anastomose colorectale sous-péritonéale.
La durée de séjour initiale de 3 des 4 patients réhospitalisés était inférieure à 7 jours. La sortie précoce vers leur domicile n’a pas retardé ou compliqué la prise en charge :
Un patient qui présentait une fistule anastomotique a été réhospitalisé directement dans notre service après appel de son médecin traitant. Le jour même de son admission, il a été réopéré après la réalisation d’une tomodensitométrie.
Une patiente a consulté en urgence son chirurgien qui a diagnostiqué un abcès de paroi. La patiente a été réhospitalisée directement dans le service et réopérée le lendemain.
Une patiente, domiciliée à moins d’une heure de notre service, ne voulant pas « déranger » son chirurgien, a préféré consulter au service d’accueil des urgences de l’hôpital local pour un abcès de paroi. Notre service a été immédiatement prévenu de cette complication et de l’hospitalisation de la patiente.
Conséquences au sein de l’équipe soignante.
Le caractère multidisciplinaire du concept est essentiel. Les membres de l’équipe soignante deviennent des rouages essentiels du bon fonctionnement d’une réhabilitation accélérée. Or les évolutions de la charge de travail du personnel induites par la FTS n’ont jamais été évaluées avant notre étude.
Grâce à un questionnaire distribué à l’ensemble de l’équipe, nous avons pu mesurer les modifications de charge de travail et l’opinion de chacun sur la pratique de la FTS au quotidien.
Dans notre série, le premier lever était réalisé avec l’aide de notre kinésithérapeute comme dans une prise en charge standard. Sa charge de travail est restée identique.
72,8 % des aides-soignants ont ressenti une augmentation de leur charge de travail. En effet, la mise au fauteuil et la mobilisation active était effectuée par le patient avec l’aide des aides-soignants dès le jour même de l’intervention. Une attention particulière était prise pour ne pas mobiliser le cathéter de péridurale à son point d’insertion. Dès J0, les aides-soignants devaient installer, servir et stimuler le patient à prendre un repas normal. Dans une prise en charge conventionnelle, la mobilisation et l’alimentation orale sont retardées et progressives, ce qui allège la charge de travail.
Les infirmières de service ont eu moins de drains à surveiller et d’injections intraveineuses à réaliser, néanmoins 51,7 % estiment que leur charge de travail a modérément augmenté. Ceci provient probablement en partie de la surveillance accrue du cathéter, de la pompe de péridurale et des constantes (constantes hémodynamiques, score d’EVA, recherche de bloc moteur…) pendant la période d’analgésie péridurale. Les équipes pionnières de la FTS avaient l’impression que l’activité du personnel infirmier était diminuée grâce à la récupération rapide de l’autonomie du patient [180].
Concernant le personnel médical, la FTS n’engendre pas ou très peu de surplus de travail puisque 76,9 % des internes, 80 % des anesthésistes et l’ensemble des chirurgiens estiment que leur charge de travail est restée identique.
23,1 % des internes ont trouvé leur charge de travail modérément augmentée en raison du remplissage quotidien des cahiers d’observations.
L’application et l’évaluation de ce protocole de FTS sont issues de la collaboration d’anesthésistes et de chirurgiens du même service. Huit médecins sur 9 ont été « très satisfaits » de cette nouvelle approche dans le service.
Le personnel paramédical est resté plus mesuré : 72,7 % des aides-soignants et 57,1 % des infirmières ont été modérément satisfaites de cette nouvelle approche. Lors de la formation organisée avant l’application des principes du protocole dans le service, le personnel s’est interrogé sur les conséquences de la mobilisation et de l’alimentation précoces. En effet, ces mesures recommandées étaient à l’opposée de ce qui est enseigné dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) et des soins périopératoires pratiqués quotidiennement. Les complications chirurgicales et les réhospitalisations ont été perçues comme étant directement liées à la FTS. Cette impression s’est parfois accompagnée d’un sentiment de culpabilité puisque le personnel soignant avait pour rôle de stimuler le patient à appliquer ces mesures.
Notre évaluation a montré que la mise en place d’un
programme de réhabilitation rapide induisait une augmentation de la charge de
travail inégalement répartie. Les effectifs des équipes soignantes dans le
service doivent être suffisants pour assurer le bon déroulement du programme de
soins. Si l’administration hospitalière souhaite développer ce type de prise en
charge vers d’autres services, elle doit prendre cet élément en considération.
L’avenir de la FTS…vers une médecine factuelle périopératoire.
Les efforts actuels se concentrent sur l’utilisation d’une analgésie avec le moins de morphiniques possibles et donc une analgésie multimodale utilisant des AINS, des inhibiteurs de la cyclooxygénase 2 (anti-COX 2) [186], du Paracétamol, de la Kétamine [187], de la Gabapentine [188], des glucocorticoïdes, de la Lidocaïne systémique (qui diminue également la durée de l’iléus) [85, 87, 189, 190]. L’administration d’anesthésiques locaux peut se faire directement dans l’espace prépéritonéal de la plaie par l’intermédiaire d’un cathéter multiperforé cicatriciel [191, 192].
Le but d’associer ces méthodes serait d’obtenir une réduction du stress et une analgésie égales ou supérieures à l’analgésie péridurale [189]. Cette analgésie multimodale, utilisant plusieurs drogues par plusieurs voies peut s’adapter à chaque type d’intervention (orthopédique, urologique…) qui a ainsi un « chemin clinique » spécifique [193].
Pour guider le remplissage intraveineux peropératoire, des techniques performantes sont développées pour monitorer la volémie per et postopératoire. L’évaluation de la fonction cardiaque peropératoire par une mesure doppler trans-oesophagienne permettrait d’optimiser ce remplissage [82, 194, 195].
Dans le but de réduire le stress chirurgical, des études sont actuellement en cours pour évaluer l’impact de l’utilisation périopératoire de glucocorticoïdes [196], de statines [197], d’insuline [198], de Lidocaïne systémique pour leurs caractéristiques anti-inflammatoires [199].
Une étude randomisée récente a montré que l’écoute de musique de son choix pendant l’intervention diminuait la cortisolémie ainsi que le taux de lymphocytes NK [200].
L’utilisation de β-bloquants pour supprimer les effets des catécholamines en chirurgie générale (à l’exception de la chirurgie cardiaque) a été étudiée dans une méta-analyse. Il existe une tendance à la réduction des complications cardiovasculaires majeures (arrêt cardiaque, infarctus non mortel et les décès d’origine cardiovasculaire) mais le nombre d’études est encore insuffisant pour conclure de manière définitive [201].
Sur le plan chirurgical, dans le but de diminuer l’agression tissulaire, des essais, en cours d’évaluation sur l’animal [202] ou en cours d’application clinique préliminaire [203, 204] s’intéressent à des techniques ou des voies d’abord mini-invasives voire micro-invasives :
La chirurgie endoscopique transluminale par orifice naturel utilisant une voie trans-vaginale [205]ou trans-gastrique [206] éviterait de traumatiser la paroi abdominale. Le geste serait réalisé grâce à un endoscope muni de 2 canaux opérateurs.
La réalisation de résections digestives par voie cœlioscopique à travers un trocart unique (exemple : le système Airseal® ou le système Pnavel®). Son insertion se fait par une courte incision cutanée puis à travers l’orifice ombilical sans traumatiser de muscle [207]. Dans un seul trocart et sans perte de pneumopéritoine, on peut introduire le système optique de 5 mm et deux instruments [208]. Le préjudice pariétal serait diminué.
Des innovations concernant l’environnement chirurgical et anesthésique du bloc opératoire ont été évaluées de façon isolée. Une « salle d’opération du futur » avec une salle d’induction adjacente, une table opératoire mobile, des équipements chirurgicaux fixés au plafond, un accès informatisé au dossier du patient, testée sur 63 interventions, a permis de diminuer le temps d’installation, le temps d’attente et le temps opératoire par rapport à des interventions similaires réalisées dans un bloc conventionnel [209]. Ce genre de technologie, réduisant une partie du « traumatisme » chirurgical, peut s’intégrer dans un programme de réhabilitation accélérée. L’ensemble de ces techniques ou de ses traitements en cours d’évaluation est résumé dans le tableau 17.
Dans l’avenir, pour permettre une diffusion du concept de FTS vers d’autres services de chirurgie digestive ou d’autres spécialités chirurgicales, l’organisation des soins doit évoluer. La réussite d’un programme de FTS réclame une collaboration multidisciplinaire entre anesthésistes, chirurgiens et infirmières. La communication entre ces différents personnels soignants doit se faire à travers des réunions d’évaluation des résultats (durée moyenne de séjour, mortalité, morbidité…) et de rédaction de protocoles ou de plans de soins. Chacun des acteurs de cette équipe doit être formé dans un centre utilisant la FTS ou par le biais de sociétés savantes rédigeant les recommandations de bonne pratique clinique. Dans le but d’aider la mise en œuvre d’un programme de FTS, un site Internet (www.postoppain.org) renseigne les médecins sur la gestion spécifique de la douleur postopératoire.
La contribution de l’administration hospitalière est essentielle pour organiser la formation du personnel infirmier et aide-soignant, pour la création d’unités spécialisées adaptées, pour le recueil et l’évaluation continue des résultats ou des coûts [113].
La
FTS peut avoir un réel impact économique : la
diminution de la durée d’hospitalisation induit
directement une baisse du coût de la prise en charge, les mesures
prônées par la FTS sont peu onéreuses.
L’administration pourrait rapidement en tirer des
bénéfices financiers grâce à un roulement
des patients hospitalisés plus rapide et une
disponibilité accrue des lits. Des crédits pourraient
être alloués en contrepartie dans les services où
l’on pratique la FTS. L’intérêt de ces
équipes est de développer une activité ambulatoire
lucrative ou avec un temps d’occupation des lits minimal. Ce type
de prise en charge semble agir comme un « produit
d’appel » en captant des flux de patients et permet
ainsi d’augmenter l’activité chirurgicale [211].
Actuellement en France, les outils habituellement utilisés pour
évaluer l’impact médico-économique sont
probablement inadaptés pour analyser une prise en charge de type
FTS. L’application de la nouvelle rémunération
hospitalière selon la tarification à
l’activité (T2A) prévoit un financement des
établissements sur la base d’un tarif forfaitaire pour
chaque type d’intervention. Si la durée
d’hospitalisation est inférieure à la borne basse
(durée minimale de séjour, exemple : 5 jours pour
une colectomie en l’absence de comorbidité),
l’établissement ne reçoit que 50 % du tarif GHS
(groupe homogène de séjour). Un patient sortant plus
tôt devient alors moins « rentable ».
Dans le service de chirurgie générale et digestive du Centre Hospitalo-universitaire de Clermont-ferrand, depuis notre étude à propos de 40 résections colorectales, le concept de FTS s’étend vers les résections gastriques, pancréatique et hépatiques. L’analgésie péridurale, l’alimentation et la mobilisation précoces sont mises en place de façon systématique. En cas de contre-indications à l’analgésie péridurale, l’équipe chirugicale utilise souvent un cathéter cicatriciel prépéritonéal dans l’incision de laparotomie. Le niveau d’analgésie obtenue mérite d’être évalué et comparé avec l’analgésie péridurale dans un essai randomisé multicentrique.
De part la faible morbidité générale engendrée, l’utilisation et l’évaluation d’un programme de réhabilitation accélérée seraient profitables pour les patients âgés, à risque de dysfonctions d’organe ou lors d’interventions en situation d’urgence.