DISCUSSION


La réhabilitation accélérée en chirurgie colorectale élective associe successivement :

Cette prise en charge périopératoire permet d’obtenir de manière significative une récupération postopératoire plus rapide, une réduction de la morbidité et une réduction de la durée d’hospitalisation par rapport à une prise en charge conventionnelle.

En confrontant nos résultats à ceux de la littérature, nous discuterons successivement les points suivants :


Confirmation de la similitude des résultats de notre série avec ceux de la littérature.

Nos résultats ont été obtenus à partir d’une étude de faisabilité auprès d’une population sélectionnée. Nous n’avons pas réalisé d’essai comparatif avec un groupe « prise en charge conventionnelle ». Néanmoins, plusieurs de nos résultats sont comparables aux résultats d’essais sur la FTS déjà publiés.

Bien que la réduction de la durée d’hospitalisation ne soit pas le but principal dans le concept de réhabilitation rapide, elle est la conséquence la plus visible de son efficacité. C’est pourquoi nous l’avons choisie comme critère de jugement principal. Kehlet et son équipe ont réduit à 2 jours la durée d’hospitalisation après colectomie. En France et dans notre service, la durée d’hospitalisation pour des résections colorectales était habituellement de 16 jours [2]. Elle a pu être abaissée à une médiane de 5 jours grâce à ce programme, ce qui est identique aux chiffres rapportés par d’autres équipes pratiquant la FTS (Tableau 1). Vingt-huit patients (70%) des patients ont pu quitter notre service entre le 3ème et le 6ème jour postopératoire avec des suites simples. Les départs après J6 étaient essentiellement dus aux complications chirurgicales. Avant l’application du protocole FTS, nous ne connaissions pas le taux de patients sortant précocement de notre service sans complication. Hammer et coll. ont appliqué le concept de FTS pour la première fois dans leur service sur 131 patients consécutifs non sélectionnés. En comparant avec leurs bases de données du service, ils ont constaté que la durée médiane de séjour était passée de 7 à 4 jours mais surtout, que le taux de patients avec des suites simples était passé de 64 à 89 % (essentiellement par réduction du nombre de complications médicales) [176].

Notre équipe médicale avait déclaré 21 patients « sortants » car ils remplissaient les critères de sortie mais ils ont souhaité différer leur départ d’au moins 24 heures :

Au cours de l’étude, nous avons donc remarqué que le manque d’anticipation de la sortie pouvait allonger la durée d’hospitalisation. La réservation d’un établissement de convalescence, l’organisation du retour et la surveillance à domicile sont des éléments qui doivent être pris en compte et planifiés avant même de fixer la date opératoire surtout pour les patients qui ont des difficultés pour se loger ou qui vivent isolés.

Dans notre série, cette différence entre patient sortant et sortie effective n’a pas influencé la durée totale de séjour réelle, contrairement aux travaux de Liu [177] et Carli [57] où ce différentiel était respectivement de 5 et 3 jours après utilisation de l’APD seule après chirurgie colique. Mais cette absence de différence pourrait être due à un effectif relativement faible.


La totalité des 40 patients a pu tolérer l’alimentation précoce dès le lendemain de l’intervention. Quatre patients ont mangé normalement avant même de reprendre leur transit. La prévention et le traitement des NVPO nécessitent une surveillance soutenue (tout comme l’analgésie) pendant toute la durée du séjour postopératoire. Malgré des mesures spécifiques, un quart des patients a présenté au moins un épisode de NVPO pendant son séjour. Le traitement médical par Dropéridol et Ondansétron est efficace et suffisant dans la majorité des cas. Seuls deux malades (5%) ont nécessité la pose d’une SNG :

Dans certains essais comparatifs [121, 125], 15 à 20 % des patients du groupe « traitement conventionnel » nécessitaient la pose itérative de SNG en période postopératoire pour NVPO.

Nos résultats confirment l’intérêt de la FTS pour le délai de reprise de transit : le temps médian de reprise des gaz est de un jour dans notre série alors que dans une prise en charge standard la paralysie de la motilité intestinale constatée est habituellement de 2 à 5 jours [28].

Contrairement au protocole de Kelhet, nous avons fait le choix, comme d’autres équipes [7, 133], de ne pas utiliser le Cisapride comme stimulant de la motricité intestinale en raison d’effets indésirables cardiaques rapportés [178]. La prise de chewing-gum de par son innocuité et sa très bonne observance a sa place dans un protocole de réhabilitation rapide.


Le but du traitement antalgique élaboré lors de la rédaction du protocole était de maintenir un score d’EVA inférieur ou égal à 3 sur 10 tout au long du séjour postopératoire. Cet objectif a été atteint grâce à deux éléments spécifiques de la FTS :

Une augmentation transitoire du score d’EVA moyen (représenté par un pic sur la courbe des scores d’EVA (Figure 5)) provient d’un rebond douloureux à l’arrêt de l’analgésie péridurale chez 14 patients (35%) malgré le relais par voie orale anticipé. Ce phénomène correspond à un véritable creux analgésique ("Analgesic gap"). Un tableau clinique particulier était habituellement associé à ce pic douloureux : la douleur était rapidement progressive, en barre, centrée sur l’épigastre, à type de crampe avec irradiations dans le dos, peu calmée par le sulfate de morphine ; on constatait également un état nauséeux, un ballonnement et un arrêt du transit bref. La durée de ce creux analgésique était en moyenne de 4 heures et n’a jamais excédé 24 heures.


Notre évaluation de la condition physique pré et postopératoire par l’intermédiaire d’un questionnaire de qualité de vie GIQLI (remplis à J-1, J7 et J30) montre que la fatigue ressentie 30 jours après l’intervention est significativement plus faible qu’à une semaine de l’intervention, sans toutefois égaler l’état préopératoire. L’essai randomisé d’Anderson et coll. mettait en évidence la même évolution dans un groupe avec réhabilitation accélérée en soulignant que cette fatigue ressentie (mesurée par une échelle visuelle analogique) était plus faible que dans le groupe avec prise en charge standard [4]. Jakobsen et coll. ont montré que ce niveau de fatigue à J14 pouvait rejoindre le niveau préopératoire grâce à une prise en charge de type FTS et un soutien familial important à domicile [5]. Des essais randomisés avec des groupes homogènes de malades sont nécessaires pour démontrer que la FTS, en améliorant la qualité de la convalescence, pourrait accélérer la reprise de l’activité professionnelle ou l’administration d’un traitement adjuvant en cas de cancer (chimiothérapie, radiothérapie…).

L’étude comparative des questionnaires de qualité de vie GIQLI a également permis de distinguer une évolution du vécu émotionnel. La chirurgie avec sa prise en charge périopératoire spécifique n’a pas entraîné de détérioration de cette dimension. A J30 de l’intervention, le programme de réhabilitation accélérée et la sortie précoce de l’hôpital n’ont pas généré d’inquiétude ou d’angoisse chez les patients.

De même, les symptômes digestifs ressentis en préopératoire n’étaient pas majorés.

Par ailleurs, à un mois de l’intervention, le score global de qualité de vie et le score concernant l’intégration sociale sont inférieurs aux scores préopératoires. Les patients doivent donc être sensibilisés aux conséquences postopératoires de la chirurgie avant la programmation du geste. Ceci souligne également l’importance pour le patient d’avoir une aide familiale ou sociale à domicile. La FTS s’applique à un cadre nosologique précis : le patient doit comprendre l’intérêt du programme de FTS, être d’un niveau socio-économique suffisant et bénéficier d’un soutien familial favorable.


Faisabilité et innocuité de la chirurgie colorectale avec réhabilitation accélérée.

Différents indicateurs nous ont prouvé que la FTS était réalisable dans un service hospitalo-universitaire :



Une équipe française a évalué l’efficacité de sa démarche de soins par le pourcentage de patients levés à J0. Il reflète la mise en scène de tous les acteurs du programme (patient, anesthésiste, chirurgien, personnel non médical). Il confirme la qualité de l’analgésie lors de la mobilisation et l’absence d’effets secondaires (bloc moteur, sédation trop importante et hypotension orthostatique) [179].

Dans notre étude, ce pourcentage était de 17,5 %. Un effort d’organisation supplémentaire est donc nécessaire pour améliorer ce résultat dans l’avenir :



L’application du protocole de FTS et la réduction de la durée d’hospitalisation n’ont pas été obtenues au détriment de la sécurité :


Il n’a y eu aucune complication pulmonaire ou thromboembolique. Le taux de morbidité médicale après prise en charge conventionnelle peut atteindre 25 à 30 %, que ce soit avec une approche par laparoscopie ou par laparotomie [182, 183].






La troisième patiente a eu une résection du rectum par cœlioscopie pour un nodule d’endométriose sans stomie de protection. Elle a présenté une désunion centimétrique du plan postérieure de son anastomose colorectale sous-péritonéale.



Conséquences au sein de l’équipe soignante.

Le caractère multidisciplinaire du concept est essentiel. Les membres de l’équipe soignante deviennent des rouages essentiels du bon fonctionnement d’une réhabilitation accélérée. Or les évolutions de la charge de travail du personnel induites par la FTS n’ont jamais été évaluées avant notre étude.

Grâce à un questionnaire distribué à l’ensemble de l’équipe, nous avons pu mesurer les modifications de charge de travail et l’opinion de chacun sur la pratique de la FTS au quotidien.

Dans notre série, le premier lever était réalisé avec l’aide de notre kinésithérapeute comme dans une prise en charge standard. Sa charge de travail est restée identique.

72,8 % des aides-soignants ont ressenti une augmentation de leur charge de travail. En effet, la mise au fauteuil et la mobilisation active était effectuée par le patient avec l’aide des aides-soignants dès le jour même de l’intervention. Une attention particulière était prise pour ne pas mobiliser le cathéter de péridurale à son point d’insertion. Dès J0, les aides-soignants devaient installer, servir et stimuler le patient à prendre un repas normal. Dans une prise en charge conventionnelle, la mobilisation et l’alimentation orale sont retardées et progressives, ce qui allège la charge de travail.

Les infirmières de service ont eu moins de drains à surveiller et d’injections intraveineuses à réaliser, néanmoins 51,7 % estiment que leur charge de travail a modérément augmenté. Ceci provient probablement en partie de la surveillance accrue du cathéter, de la pompe de péridurale et des constantes (constantes hémodynamiques, score d’EVA, recherche de bloc moteur…) pendant la période d’analgésie péridurale. Les équipes pionnières de la FTS avaient l’impression que l’activité du personnel infirmier était diminuée grâce à la récupération rapide de l’autonomie du patient [180].

Concernant le personnel médical, la FTS n’engendre pas ou très peu de surplus de travail puisque 76,9 % des internes, 80 % des anesthésistes et l’ensemble des chirurgiens estiment que leur charge de travail est restée identique.

23,1 % des internes ont trouvé leur charge de travail modérément augmentée en raison du remplissage quotidien des cahiers d’observations.

L’application et l’évaluation de ce protocole de FTS sont issues de la collaboration d’anesthésistes et de chirurgiens du même service. Huit médecins sur 9 ont été « très satisfaits » de cette nouvelle approche dans le service.

Le personnel paramédical est resté plus mesuré : 72,7 % des aides-soignants et 57,1 % des infirmières ont été modérément satisfaites de cette nouvelle approche. Lors de la formation organisée avant l’application des principes du protocole dans le service, le personnel s’est interrogé sur les conséquences de la mobilisation et de l’alimentation précoces. En effet, ces mesures recommandées étaient à l’opposée de ce qui est enseigné dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) et des soins périopératoires pratiqués quotidiennement. Les complications chirurgicales et les réhospitalisations ont été perçues comme étant directement liées à la FTS. Cette impression s’est parfois accompagnée d’un sentiment de culpabilité puisque le personnel soignant avait pour rôle de stimuler le patient à appliquer ces mesures.


Notre évaluation a montré que la mise en place d’un programme de réhabilitation rapide induisait une augmentation de la charge de travail inégalement répartie. Les effectifs des équipes soignantes dans le service doivent être suffisants pour assurer le bon déroulement du programme de soins. Si l’administration hospitalière souhaite développer ce type de prise en charge vers d’autres services, elle doit prendre cet élément en considération.


L’avenir de la FTS…vers une médecine factuelle périopératoire.

Les efforts actuels se concentrent sur l’utilisation d’une analgésie avec le moins de morphiniques possibles et donc une analgésie multimodale utilisant des AINS, des inhibiteurs de la cyclooxygénase 2 (anti-COX 2) [186], du Paracétamol, de la Kétamine [187], de la Gabapentine [188], des glucocorticoïdes, de la Lidocaïne systémique (qui diminue également la durée de l’iléus) [85, 87, 189, 190]. L’administration d’anesthésiques locaux peut se faire directement dans l’espace prépéritonéal de la plaie par l’intermédiaire d’un cathéter multiperforé cicatriciel [191, 192].

Le but d’associer ces méthodes serait d’obtenir une réduction du stress et une analgésie égales ou supérieures à l’analgésie péridurale [189]. Cette analgésie multimodale, utilisant plusieurs drogues par plusieurs voies peut s’adapter à chaque type d’intervention (orthopédique, urologique…) qui a ainsi un « chemin clinique » spécifique [193].

Pour guider le remplissage intraveineux peropératoire, des techniques performantes sont développées pour monitorer la volémie per et postopératoire. L’évaluation de la fonction cardiaque peropératoire par une mesure doppler trans-oesophagienne permettrait d’optimiser ce remplissage [82, 194, 195].

Dans le but de réduire le stress chirurgical, des études sont actuellement en cours pour évaluer l’impact de l’utilisation périopératoire de glucocorticoïdes [196], de statines [197], d’insuline [198], de Lidocaïne systémique pour leurs caractéristiques anti-inflammatoires [199].

Une étude randomisée récente a montré que l’écoute de musique de son choix pendant l’intervention diminuait la cortisolémie ainsi que le taux de lymphocytes NK [200].

L’utilisation de β-bloquants pour supprimer les effets des catécholamines en chirurgie générale (à l’exception de la chirurgie cardiaque) a été étudiée dans une méta-analyse. Il existe une tendance à la réduction des complications cardiovasculaires majeures (arrêt cardiaque, infarctus non mortel et les décès d’origine cardiovasculaire) mais le nombre d’études est encore insuffisant pour conclure de manière définitive [201].

Sur le plan chirurgical, dans le but de diminuer l’agression tissulaire, des essais, en cours d’évaluation sur l’animal [202] ou en cours d’application clinique préliminaire [203, 204] s’intéressent à des techniques ou des voies d’abord mini-invasives voire micro-invasives :

Des innovations concernant l’environnement chirurgical et anesthésique du bloc opératoire ont été évaluées de façon isolée. Une « salle d’opération du futur » avec une salle d’induction adjacente, une table opératoire mobile, des équipements chirurgicaux fixés au plafond, un accès informatisé au dossier du patient, testée sur 63 interventions, a permis de diminuer le temps d’installation, le temps d’attente et le temps opératoire par rapport à des interventions similaires réalisées dans un bloc conventionnel [209]. Ce genre de technologie, réduisant une partie du « traumatisme » chirurgical, peut s’intégrer dans un programme de réhabilitation accélérée. L’ensemble de ces techniques ou de ses traitements en cours d’évaluation est résumé dans le tableau 17.


Dans l’avenir, pour permettre une diffusion du concept de FTS vers d’autres services de chirurgie digestive ou d’autres spécialités chirurgicales, l’organisation des soins doit évoluer. La réussite d’un programme de FTS réclame une collaboration multidisciplinaire entre anesthésistes, chirurgiens et infirmières. La communication entre ces différents personnels soignants doit se faire à travers des réunions d’évaluation des résultats (durée moyenne de séjour, mortalité, morbidité…) et de rédaction de protocoles ou de plans de soins. Chacun des acteurs de cette équipe doit être formé dans un centre utilisant la FTS ou par le biais de sociétés savantes rédigeant les recommandations de bonne pratique clinique. Dans le but d’aider la mise en œuvre d’un programme de FTS, un site Internet (www.postoppain.org) renseigne les médecins sur la gestion spécifique de la douleur postopératoire.

La contribution de l’administration hospitalière est essentielle pour organiser la formation du personnel infirmier et aide-soignant, pour la création d’unités spécialisées adaptées, pour le recueil et l’évaluation continue des résultats ou des coûts [113].


La FTS peut avoir un réel impact économique : la diminution de la durée d’hospitalisation induit directement une baisse du coût de la prise en charge, les mesures prônées par la FTS sont peu onéreuses. L’administration pourrait rapidement en tirer des bénéfices financiers grâce à un roulement des patients hospitalisés plus rapide et une disponibilité accrue des lits. Des crédits pourraient être alloués en contrepartie dans les services où l’on pratique la FTS. L’intérêt de ces équipes est de développer une activité ambulatoire lucrative ou avec un temps d’occupation des lits minimal. Ce type de prise en charge semble agir comme un « produit d’appel » en captant des flux de patients et permet ainsi d’augmenter l’activité chirurgicale [211]. Actuellement en France, les outils habituellement utilisés pour évaluer l’impact médico-économique sont probablement inadaptés pour analyser une prise en charge de type FTS. L’application de la nouvelle rémunération hospitalière selon la tarification à l’activité (T2A) prévoit un financement des établissements sur la base d’un tarif forfaitaire pour chaque type d’intervention. Si la durée d’hospitalisation est inférieure à la borne basse (durée minimale de séjour, exemple : 5 jours pour une colectomie en l’absence de comorbidité), l’établissement ne reçoit que 50 % du tarif GHS (groupe homogène de séjour). Un patient sortant plus tôt devient alors moins « rentable ».

Dans le service de chirurgie générale et digestive du Centre Hospitalo-universitaire de Clermont-ferrand, depuis notre étude à propos de 40 résections colorectales, le concept de FTS s’étend vers les résections gastriques, pancréatique et hépatiques. L’analgésie péridurale, l’alimentation et la mobilisation précoces sont mises en place de façon systématique. En cas de contre-indications à l’analgésie péridurale, l’équipe chirugicale utilise souvent un cathéter cicatriciel prépéritonéal dans l’incision de laparotomie. Le niveau d’analgésie obtenue mérite d’être évalué et comparé avec l’analgésie péridurale dans un essai randomisé multicentrique.

De part la faible morbidité générale engendrée, l’utilisation et l’évaluation d’un programme de réhabilitation accélérée seraient profitables pour les patients âgés, à risque de dysfonctions d’organe ou lors d’interventions en situation d’urgence.

SOMMAIRE        CONCLUSION        BIBLIOGRAPHIE